samedi 8 septembre 2012

"Les arcs-en-ciel du noir" : Victor Hugo, en lisant, en écrivant, en dessinant

Exposition à la Maison de Victor Hugo (Paris) du 15 mars au 19 août 2012


Nous connaissons naturellement Hugo auteur et même Hugo lecteur, mais qu'en est-il du dessinateur? Car oui, Hugo prend la plume, mais pas uniquement pour écrire. C'est à l'encre d'un noir profond, en traits nuancés, qu'il esquisse les surfaces trapues de châteaux forts, des ruines embuées de brouillard ou encore la silhouette en clair obscur d'un pendu anonyme.

Organisation et présentation :
Le visiteur à peine entré dans le périmètre de l'exposition que le ton est déjà donné : les fenêtre sont camouflées par de larges tentures sombres, les murs blancs dissimulés derrière des toiles noires et un éclairage timide vient tout juste illuminer les pièces présentées. Noir, c'est noir. Passé les premières surprises on arrive tout de même à se sentir plus à l'aise : c'est l'entrée dans une intimité qui apparaît comme refermée sur elle-même ou captive. Mais n'y a-t-il pas là quelque chose de l'ordre de cette "obscure clarté qui tombe des étoiles"?
L'exposition prend place dans un des étages de ce bâtiment de la place des Vosges qui abritât autrefois l'appartement de la famille des Hugo. La présentation s'articule en sept grandes parties chacune occupant une ou plusieurs salles :
  • Noir comme la jeunesse : Quelques pièces intéressantes sont présentées comme des pages de cahier (Victor Hugo et Eugène Hugo : Cahier manuscrit de notes et d'exercices de géométrie, 1816 - 1817) ou encore quelques lettres (Victor Hugo : Lettre à son père, 8 mai 1823). On trouve également des éléments de genèse sur des textes comme Han d'Islande, Bug-Jargal et Notre-Dame de Paris à propos desquels l'auteur a déclaré avec humour : "Un matin je me suis dit : je ferai trois romans sur les numéros des trois premiers cabriolets que je rencontrerai aujourd'hui. J'ai rencontré les numéros 1699, 1792 et 1482. C'est pourquoi j'ai fait Han d'Islande, Bug-Jargal et Notre-Dame de Paris." Mais entre des illustrations de Gustave Doré et de George Rochegrosse sont présentés des dessins de Victor Hugo : sombres et parfois en relation avec la mort ils annoncent notamment ses prises de position contre la peine capitale dans Le Dernier jour d'un condamné. Ainsi, on rencontre un fou, des ruines, des potences et un fac-simile de Victor Hugo intitulé JVSTITIA.
  • Noir comme le théâtre des passions : Il s'agit ici de la passion du théâtre mais aussi de la passion des femmes notamment avec Juliette Drouet. Hugo investit l'espace de la scène : en représentant des personnages costumés par exemple ; il investit également la diversité des genre théâtraux en s'illustrant à la fois au mélodrame, à la tragédie, au vaudeville, à l'opéra-comique et aussi au drame romantique. Dans cette pièce est exposée une robe portée par Juliette Drouet pour le rôle de la princesse Negroni dans Lucrèce Borgia (1833) : la rencontre de cette dernière avec l'auteur est donc marquée à la base par le sceau du théâtre et de la passion. Deux facettes d'un même élan.
Vue sur un pan de la deuxième partie - "Noir comme le théâtre des passions".
  • Noir comme les voyages : Hugo écrivait dans Choses Vues (1863) "C'est au-dedans de soi qu'il faut regarder le dehors" et il apparaît notamment à travers ses dessins qu'il s'est appliqué à mettre en pratique ce précepte. Les représentations ne sont pas évidentes, elles sont comme passées à travers le philtre d'une intériorité qui nous échappe. Les silhouette massive des châteaux se dérobent dans le lointain et le ciel semble crouler sous une épaisse chape de plomb. Victor Hugo écrivait dans une lettre à Baudelaire en 1860 : "du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce que j'ai dans l'oeil et surtout dans l'esprit." Par ces voyages, Hugo saisit et présente une réalité vue et sentie qui lui est très personnelle.
  • Noir comme la liberté : Dans sa jeunesse, l'auteur a des positions politiques ultras - c'est-à-dire qu'il s'ancre dans un mouvement plutôt aristocratique prônant le retour de la royauté - mais au cours de sa vie il progressera radicalement vers la gauche en connaissant l'exil et il ira même jusqu'à héberger des communards (des anarchistes libertaires réprimés de façon sanglante par le pouvoir versaillais, parmi les communards on trouve notamment Louise Michel envoyée au bagne de Cayenne). Cette partie de l'exposition propose au visiteur un éclairage sur la période de l'exil puisque Hugo a été proscrit en 1851 pour s'être opposé à Napoléon III. C'est ici qu'est exposé le dessin du pendu sous-titré "ECCE LEX" ce qui lance sans ambages au visiteur un sentiment très dur d'ironie tragique. Ici, les discours politiques sont présentés à côté de dessins et de lettres : cette diversité des pièces nous laisse entrevoir l'énergie considérable qui anime Hugo dans son combat pour la liberté.
  • Le choix du Noir : "L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement, l'homme qui médite vit dans l'obscurité. Nous n'avons que le choix du noir" Victor Hugo, William Shakespeare, I,5, les Âmes I, 1864. Cette constatation pathétique et tragique accueille le visiteur dans cette nouvelle pièce. Encore une fois le ton est donné d'emblée : il n'y a pas d'autres alternatives que le noir. Après l'énergie du combat pour la liberté, il y a ici quelque chose de l'ordre de la léthargie et de l'étouffement. Les dessins représentent quasiment exclusivement des décors d'intérieurs. On se sent comme immobilisés dans une atmosphère pesante et un peu étouffante. Le choix du Noir doit-il être nécessairement tragique?
Victor Hugo, Le Phare des Casques, 1866.
  • Noir comme l'infini : L'infini, presque systématiquement associée au noir dans la mythologie hugolienne, vient ici désengorger le coeur qui s'étouffe et offre au visiteur une bouffée d'air. L'infini décloisonne l'espace. C'est le retour de l'énergie avec les dessins de bateaux secoués par les vagues. On trouve dans cette partie de l'exposition le frontispice dessiné par Hugo pour La Légende des siècles ou encore plusieurs portraits de Copeau des Travailleurs de la mer. Si l'infini est noir, le noir est à conquérir.
  • Noir comme l'éblouissement : "L'état normal du ciel, c'est la nuit... les univers qui y sont noyés y gravitent comme à l'aventure sans savoir autour de quoi [alors que] le jour, bref dans la durée comme dans l'espace, n'est qu'une proximité d'étoile." Victor Hugo. Cette dernière salle est entièrement noire. Qu'en est-il des pièces présentées? Il n'y en a pas. Juste une voix qui lit doucement un texte. Deux projecteurs accrochent sur les murs des clartés qui essaient de représenter des figures qui nous échappent. Des bancs permettent de nous asseoir, entièrement plongés dans le noir, en attendant l'éblouissement.
Impressions :
Cette atmosphère extrêmement noire et renfermée est très particulière. Le visiteur entre dans un état de bien-être avec la sensation du refuge offert mais il ressent aussi comme un enfermement, un état de cécité brutalement provoqué. Les salles qui se succèdent sont donc comme autant d'étapes d'un tunnel qu'il faudrait traverser. Mais au bout du tunnel, nulle lumière, seulement un noir total et enveloppant. Peut-être aurait-il été plus classique de présenter au visiteur un éclaircissement final : des murs nus, un éclairage, une fenêtre ouverte? Cependant, selon Hugo, si éblouissement il y a, c'est dans le noir le plus profond qu'il survient. Alors laissez-vous étreindre dans la chaleur d'une pièce entièrement sombre et patientez : l'éblouissement dans le noir est la quête... de toute une vie.

La Maison de Victor Hugo, Place des Vosges (Paris).

La Maison de Victor Hugo :
Victor a séjourné dans cet hôtel de Rohan-Guéménée sur la place des Vosges à Paris de 1832 à 1842. On peut y visiter une reconstitution de son appartement et d'autres lieux dans lesquels il a vécu scindée en trois parties :
  • Avant l'exil : Antichambre et Salon de Réception ;
  • Pendant l'exil : Salon chinois de Juliette Drouet à Guernesey, Salle à manger de Juliette Drouet à Guernesey et Salon de Victor Hugo ;
  • Depuis l'exil : Cabinet de travail, Chambre de Victor Hugo.
Certaines pièces présentées sont authentiques ce qui est très émouvant, il s'agit de s'immerger pleinement dans l'univers de cet homme d'exception. Cette visite est un bon moyen de découvrir ou redécouvrir cette figure très importante de la littérature française.

 Chambre de Victor Hugo avenue d'Eylau.

4 commentaires:

  1. un aspect d'Hugo que je ne connais guère, je crois que cette exposition me plairait bien!

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    1. Oui c'est toujours intéressant d'envisager les auteurs selon des perspectives nouvelles!

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  2. Certains auteurs ont fait le bon choix le jour où ils ont décidé de rédiger un roman. Ce n’est pas donné à tout le monde de savoir comment rédiger un roman intéressant et qui sera choisi par un éditeur. La simplicité, la spontanéité des personnages et la véracité des événements seront des atouts précieux. Les faits racontés devront être crédibles et captivants. Pour rédiger un roman intéressant, certains vous diront qu’il y a une méthode et d’autres vous diront qu’ils écrivent ce que leur coeur leur dicte. Pour ma part, je crois que l’on peut écrire un roman sans méthode, mais qu’il est préférable d’avoir une méthode pour écrire un bon roman. 
    Merci pour votre blog. J’apprécie vos analyses.

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    1. Les recettes pour bien faire n'existent pas. On ne sait même pas ce qu'est la littérature, alors que dire d'un bon roman... On se contente d'apprécier et voilà bien assez.

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