dimanche 20 mars 2016

Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole de Jean Renart

Critique du Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole de Jean Renart

Résumé :
Quatrième de couverture : Le Roman de la Rose de Jean Renart est une des œuvres les plus neuves et les plus complexes du Moyen Âge. Il substitue à l'Ouest arthurien l'Est impérial autour de l'empereur Conrad qui nous offre une synthèse des attributs des trois principaux personnages, le jongleur Jouglet, le chevalier Guillaume de Dole et sa sœur, la belle Liénor, en même temps qu'une réflexion sur la souveraineté, ses fondements et sa légitimité. Pour Jean Renart, le romancier doit rechercher le vraisemblable, au sens narratif du terme, par la logique des actions, et le véritable, en entretenant l'effet de réel dans la description des êtres et des choses. Ainsi assiste-t-on à la création du "nouveau roman" médiéval par une géographie plus précise, par des héros pseudo-historiques au milieu de personnages secondaires bien réels, nommément désignés, contemporains de l'auteur et contemporains entre eux, par des interventions fréquentes du narrateur, par des dialogues qui se rapprochent de la conversation courante, par l'élargissement de l'univers romanesque aux jongleurs, aux vavasseurs et aux bourgeois détenteurs de la richesse et du pouvoir économique. De surcroît, Renart fait de la littérature avec la littérature de son temps et même avec sa propre littérature (Le Lai de L'Ombre). Il est une innovation dont il se flatte dans son prologue : il a entrelacé le texte narratif, sans en rompre la cohérence, de poèmes lyriques, aristocratiques et populaires, dont il nous offre une véritable anthologie. Dans le même temps, il nous propose un nouvel art de vivre, qui relègue au second plan la religion et l'idéal chevaleresque, prônant une morale de la largesse, voire de la prodigalité, au service de la joie et de la jouissance amoureuse, dans un univers de richesse, de beauté et d'élégance, sans rien de compassé. Mais lucidité et réalisme ne perdent jamais leurs droits dans un roman qui aime à suggérer l'envers du décor, qui recherche l'inattendu dans le langage et l'écriture, dont l'art du détail relève du pointillisme.
Aux antipodes de ce que l'on retient généralement des romans médiévaux du XIIe et XIIIe siècles, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole se cultive une veine que la critique (par exemple la médiéviste Rita Lejeune) a eu tendance à qualifier de "réaliste". Après un long prologue introduisant le lecteur à la Cour de l'empereur Conrad, une intrigue débute autour du thème de la gageure : la belle Liénor, sœur du chevalier Guillaume de Dole, pour laquelle l'empereur avait éprouvé un vif attachement en écoutant les récits du jongleur Jouglet, aurait fauté autrefois avec le sénéchal de la Cour. Essaimée d'épisodes formant de véritables petites entités comme celui du tournoi, une enquête va alors se développer et son moteur principal c'est la renardie : la ruse du narrateur autant que des personnages. Se jouant des codes littéraires autant que des usages, l'auteur propose un portrait original et familier de la société courtoise. Les attendus sont maniés avec distance voire dérision pour mener plaisamment l'auditeur-lecteur vers le dénouement. Les insertions lyriques alimentent l'ornatio et confèrent à l'ensemble une agréable variété.

mardi 15 mars 2016

Cyrano de Bergerac : un précurseur de la science-fiction?

Penser l'ailleurs pour tenter de vivre aujourd'hui
Voyage dans les Etats et Empires de la Lune et du Soleil

Le narrateur s'envolant vers la lune avec une ceinture de fioles de rosée.

En intitulant son ouvrage les États et Empires de la Lune et du Soleil, Cyrano de Bergerac met en place une référence parodique à l’œuvre de l'érudit géographe Pierre Davity dont les volumes de ses États, Empires, Royaumes et Principautés du Monde étaient très diffusés au XVIIe siècle. Si Pierre Davity ambitionne de compiler et de gloser un savoir sur des territoires réels du monde terrestre, Cyrano de Bergerac donne au voyage une autre mesure en proposant d'étudier les contrées de la lune et celles du soleil. Le thème de l'exploration de l'espace suscite immédiatement tout un imaginaire lié à la littérature de science-fiction même si le terme comme le genre sont anachroniques pour l'époque. Au regard de la place accordée dans le texte à la spéculation scientifique – bien qu'elle soit généralement fantaisiste – ainsi qu'au voyage spatial ou encore à l'invention et à la mise en scène de sociétés construites faisant appel à un référent autre que l'imaginaire terrien, il semblerait que les États et Empires constituent un texte précurseur de la science-fiction.
Pour autant, motif du voyage spatial dans le texte ne porte pas nécessairement les germes du Space Opera mais constitue bien davantage un procédé permettant la libération de toute parole pour induire la multiplication des confrontations à l'altérité et l'expression systématique de différents points de vue. Cette construction d'une réalité kaléidoscopique sert finalement une réflexion sur les marges et leur rapport au collectif ainsi qu'à la norme. Interrogeons donc dans cet article le thème du voyage dans l'espace pour tenter d'appréhender son rôle dans l’œuvre. Son importance cruciale explique l'établissement de plusieurs dispositifs spatiaux dans le texte qui revêtent des valeurs différentes. On sera alors en mesure de percevoir un rapport problématique à l'altérité sous la forme d'un idéal paradoxal sensible en filigranes dans le texte.

Cyrano de Bergerac