jeudi 14 juin 2012

Bouvard et Pécuchet de Flaubert

Critique de Bouvard et Pécuchet de Flaubert

Résumé :
Quatrième de couverture : "Bouvard et Pécuchet  est une Odyssée. 
La littérature (profane - c'est-à-dire la vraie) commence avec Homère (déjà grand sceptique) et toute grande oeuvre est soit une Iliade soit une Odyssée, les odyssées étant beaucoup plus nombreuses que les iliades : le Satiricon, La Divine Comédie, Pantagruel, Don Quichotte, et naturellement Ulysse (où l'on reconnaît d'ailleurs l'influence directe de Bouvard et Pécuchet) sont des odyssées, c'est-à-dire des récits de temps pleins. Les iliades sont au contraire des recherches de temps perdu : devant Troie, sur une île déserte ou chez les Guermantes." Raymond Queneau
Lors d'une journée très chaude, Bouvard et Pécuchet, deux hommes sans histoires, se rencontrent pour la première fois sur le boulevard Bourdon. Ils se découvrent des avis communs sur beaucoup de sujets et se rendent compte qu'ils exercent tous deux le métier de copiste. C'est le commencement d'une solide amitié qui les mènera, quelques temps plus tard, à s'installer dans une maison de campagne grâce à un héritage. Intéressés par toutes sortes de choses, ils se lancent dans de multiples expériences visiblement toutes vouées à l'échec. Y a-t-il ici de la bêtise ou du génie?


Mon avis :
Le lecteur est ici en présence de deux personnages qui évoluent de sottises en sottises jusqu'à le perdre dans un tourbillon d'expériences ratées ou vaines. En effet, Flaubert avance l'idée d'"engueuler les humains [...] dans quelque long roman" et c'est peut-être dans cette perspective qu'il met en scène ses personnages dans un schéma d'échec permanent grâce à la peinture ironique et pleine de dérision de leurs essais infructueux sans cesse renouvelés.
Ce qui me marque en premier dans ce roman, c'est l'ironie grinçante qui le caractérise. En effet, Flaubert combine avec une virtuosité remarquable, les différents marqueurs de l'ironie. On trouve ainsi l'utilisation de l'hyperbole ou encore des discours rapportés, qui concourent à instaurer une distance entre le narrateur et les personnages desquels il décrit les actions. Mais rien n'est donné au lecteur qui est sans cesse confronté à un sens flottant. On est perpétuellement en train de se demander ce que l'auteur veut nous dire, s'il y a un message caché dans tout cela.
J'affirme sans détours que ce livre est l'un des plus drôles qu'il m'ait été donné de lire. Les situations loufoques et rocambolesques se succèdent sans répit pour venir finalement nourrir une réflexion autour de la bêtise humaine. Il y a dans ce texte un regard profondément sceptique sur l'homme et sur le monde : on a une réelle critique des sciences ou encore des lettres qui s'articule autour de la vanité de tout savoir, ce qui nous renvoie aux thématiques pascaliennes. Flaubert pointe également du doigt la bêtise humaine et on trouvait déjà ce thème dans Madame Bovary avec le personnage du pharmacien Homais qui apparaissait en grand gagnant du roman. Mais des incertitudes et des contradictions - par ailleurs cultivées par l'auteur - n'ont de cesse de suspendre le jugement du lecteur : Bouvard et Pécuchet sont-ils véritablement des imbéciles? En effet, parfois les expériences - souvent mal engagées - des deux hommes réussissent. Flaubert écrivait d'ailleurs : "J'écris de manière à ce que le lecteur ne sache jamais si on se fout de lui ou non". Dans un tel cadre, que nous apprennent-ils? Le message de Flaubert n'est jamais unilatéral, ce chantre de l'indécidabilité ne se lasse jamais de semer le doute. Et on retrouve précisément ici sa hantise du mot de la fin : "la bêtise consiste à vouloir conclure" (Lettre à Louis Bouilhet, 4 septembre 1850). D'aucuns ont même affirmé qu'il y aurait dans  les deux personnages des traits clairement flaubertiens : "Si Bouvard et Pécuchet mettent Flaubert dans leur livre, comme celui-ci les a mis dans le sien, ce n'est là qu'un aspect de la confusion qui s'établit entre l'auteur et ses personnage. Car les deux bonshommes sont les doubles exacts de leur créateur, non seulement parce qu'ils deviennent ses porte-parole, mais dans leur activité même : comme lui, ils copient interminablement des sottises, et celles mêmes qu'a copiées Flaubert ; comme lui, ils écrivent un livre pour prouver que les livres ne valent rien. Nouveau et ultime paradoxe : si Bouvard est un échec, la thèse n'est pas confirmée ; s'il est une réussite, elle ne l'est pas non plus. Dans le dernier roman de Flaubert, le sens se retourne lui-même à l'infini." (Claudine Gothot-Mersch, introduction à l'édition Folio 1979).
Flaubert, qui meurt le 8 mai 1880 n'a pas le temps d'achever l'écriture de Bouvard et Pécuchet. On connait cependant à peu près le contenu de la dernière partie qui devait mettre en scène les deux protagonistes revenant à leur métier initial de copiste. Il y a là comme une ultime ironie qui présente leur aventure comme une boucle insensée. Mais c'est aussi une entreprise pleine de sagesse que de revenir - après de nombreux échecs - à ce que l'on sait faire, depuis le début. Comment faut-il interpréter ce coup de théâtre final? Ici encore c'est à chaque lecteur de se forger son opinion, si toutefois il existe encore une légitimité à plaquer un jugement - nécessairement pauvre ou erroné - sur un texte de Flaubert.
J'ai également apprécié le Sottiser, l'Album de la Marquise, le Dictionnaire des idées reçues et le Catalogue des idées chic, ces annexes qui font partie de la copie de l'ouvrage, qui m'ont très souvent fait sourire.
On reconnaît ici une oeuvre de maître : la virtuosité dans la pratique de l'ironie, l'impossibilité fondamentale du texte de se contenter d'un jugement unilatéral, un flottement du sens caractéristique qui empêche toutes les pensées satisfaites d'opter pour du blanc ou pour du noir, ou encore cette réflexion profonde sur l'humanité apparaissent comme autant de preuves de cet état de fait.
Finalement, je retiens beaucoup de ce texte qui semble être voué à accompagner un lecteur toute une vie, car il y a du Bouvard et du Pécuchet en chacun de nous.

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