mardi 19 juin 2012

Une mémoire pour l'oubli de Mahmoud Darwich

Critique de Une mémoire pour l'oubli de Mahmoud Darwich

Résumé :
Quatrième de couverture : En ce jour d'août 1982, les troupes israéliennes assiègent Beyrouth et la résistance palestinienne se résout à un nouvel exil. Prisonnier entre les murs de son appartement, dans la ville bombardée, Mahmoud Darwich tente douloureusement de rallier le territoire impossible de la mémoire. Pour dire la complexité du réel, les angoisses de l'enfermement, la folie de la guerre et l'au-delà des souvenirs et des espoirs, l'écrivain compose un récit mêlant dialogues imaginaires, textes du patrimoine arabe classique et poèmes en prose.
Chronique amoureuse d'une ville ou la violence mortelle a effacé les frontières supposées du corps et de l'esprit, de l'amour et du politique, Une mémoire pour l'oubli recueille les fragments d'un passé éclaté et témoigne de l'inévitable travail du deuil et de l'oubli. 
À quoi peut bien penser un homme retranché dans son appartement au beau milieu d'une ville bombardée? Entre le café matinal, l'eau, le chant des oiseaux ou encore l'identité d'un peuple, l'esprit du poète vagabonde de sujets en sujets et jamais ne se fixe pour éviter l'horreur. Cependant, les préoccupations graves et les souvenirs douloureux n'ont de cesse de resurgir et viennent confirmer la cruelle réalité : Beyrouth, un jour d'août 1982.


Mon avis :
Mahmoud Darwich, est aujourd'hui unanimement considéré comme le plus grand poète vivant du monde arabe. Ce titre est d'autant plus important lorsqu'on sait que contrairement à ce que l'on observe en Occident, la poésie est de loin le genre roi des lettres arabes. Le personnage du poète, revêt alors une importance toute particulière.
Le contexte de cet ouvrage est important puisque Mahmoud Darwich écrit en temps de guerre, en plein coeur du conflit, sans échappatoire possible, si ce n'est la pratique de l'écriture et de la poésie. Cette journée de siège est présentée comme une prison dans laquelle le poète est enfermé. Dans un tel cadre se pose inévitablement la question de l'engagement de la littérature. Ici, le poète nous propose tout aussi bien des remarques politiques très engagées pour la cause palestinienne et conscientes des enjeux en tension que des passages de prose poétique qui semblent déconnectés du très rude contexte d'écriture. Au coeur de ce balancement réside à mon sens l'un des points les plus frappants et émouvants de cet ouvrage. Il y a le déroulement d'une pensée qui s'illustre à la fois entre les bombes mais qui parvient également à s'élever vers des questions humaines philosophiques.
J'ai aussi été saisie par la pluralité du texte : le poète utilise des dialogues, des poèmes, des pensées diverses, des extraits d'ouvrages ou encore de longues transcriptions de souvenirs. Le lecteur est ainsi saisi par une multitude d'émotions grâce à l'utilisation de différents moyens de les retranscrire. On ressent alors comme une effervescence littéraire qui est contenue dans les mots. Car la parole est alors nourrie à plusieurs niveaux : la mémoire et le souvenir, la passion et l'amour ou encore la poésie. Le sens du texte devient donc infiniment plus riche grâce à cette pluralité de facettes et de dimensions.
Comme je l'ai dit, le poète est piégé au sein du conflit enfermé dans un appartement. C'est dans ce contexte si particulier que sa réflexion s'attarde sur des thèmes simples ancrés hors de toute réalité historique comme l'eau, la mer, le chant des oiseaux, les femmes ou même le café. Il y a là, peut-être, une certaine volonté de détachement de retour aux sources et aux sujets fondamentaux. J'ai ressenti cela comme une façon de se réfugier dans un espace intérieur. Et c'est d'ailleurs la double fonction de la poésie : s'immerger au plus profond des événements car elle permet d'exprimer l'indicible, mais également de se détacher d'un réel trop dur grâce à la création d'espace intérieurs avec le pouvoir évocateur des mots.
L'auteur semble être fasciné et touché par trois thèmes principaux qui finalement se recoupent : la mémoire, l'identité et l'exil. L'auteur, blessé par son histoire à la fois personnelle - il subit l'exil - autant que collective semble désespérément questionner le monde à travers des interrogations magnifiques et implacables : "Pourquoi demande-t-on à ceux que les vagues de l'oubli ont rejetés sur les rivages de Beyrouth de faire exception aux lois de la nature humaine? Pourquoi leur demande-t-on tant d'oubli? Qui peut leur fabriquer une mémoire nouvelle, ombre brisée d'une vie lointaine dans un carcan de métal hurlant? Y a-t-il au monde assez d'oubli pour qu'ils oublient?" Mahmoud Darwich apparaît ainsi comme le porte-parole de sa propre souffrance mais aussi de celle de tout un peuple.
C'est une perle à laquelle je n'ai pas trouvé de défaut : le lecteur se trouve face à un ouvrage aussi poétique que profondément bouleversant, qui manie le pouvoir des mots pour évoquer l'indicible. À la fois dur et tellement humain. Magistral.

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2 commentaires:

  1. Il a l'air génial. Trop envie de le lire.
    Bisous
    Sissi

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    1. Il est génial, tu peux foncer les yeux fermés ;) C'est vraiment un bouquin qui me tient à coeur.

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